Dans cette interview avec le directeur du centre de formation du FC Lorient, nous explorons les méthodes et philosophies derrière le développement de jeunes talents. Il est détaillé la préparation des joueurs pour le monde sénior et la construction d’une culture de performance, tout en respectant l’individualité de chaque joueur. Cette conversation met en lumière les approches du FC Lorient pour former des joueurs capables de s’élever au plus haut niveau, tout en veillant à leur développement personnel.

Pour débuter ton aventure à Lorient, tu prends les rênes de la préformation, un rôle inédit pour toi. Qu’est-ce qui t’a séduit dans la culture du club et dans le projet qui t’a été proposé ?

Avec Régis, entre autres, nous avions déjà des échanges. Pas nécessairement avec l’idée que nous allions collaborer un jour, mais nous partagions certaines questions, bénéficiant de perspectives différentes, comme l’accompagnement du joueur vers la performance. Finalement, mon arrivée s’est réalisée juste après la période du COVID.

Avant ton arrivée, une feuille de route était déjà établie pour garantir une continuité dans les idées défendues au centre de formation auprès des différentes équipes (U17, U19, Réserve, etc.). Comment t’es tu adapté d’intégrer tes propres idées ?

Le FC Lorient a l’ambition d’accompagner 3 à 4 joueurs chaque année dans le « 16 utile* » de l’équipe première.

(*les joueurs se partageant l’essentiel du temps de jeu)

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Le but est de créer de la valeur sportive puis, peut-être, dans un second temps de la valeur économique. Notre organisation doit rester agile et ouverte, avec des dispositifs d’accompagnements favorables aux performances de nos joueurs. Philosophiquement et idéologiquement, j’adhère à ça. En fait, ça se questionne et recompose tous les ans, tous les jours et avec chaque individu.

Finalement, c’est dans la quotidienneté que la créativité peut être là, puisqu’on peut prendre des initiatives. À partir du moment où je suis au clair sur la vision et évidemment qu’elle était partagée avec Régis quand j’arrive à la préformation, je suis très libre. Au travers de nos comités et nos activités respectives, nous nourrissons et cultivons cette vision.

En tant que directeur de centre, j’ai adopté une posture différente parce que la plupart des collaborateurs sont arrivés récemment. J’échange avec eux au quotidien pour leur permettre d’avancer avec leurs représentations, pour les rassurer au besoin et veiller à la cohérence de l’ensemble.

Depuis plus d’un an, le staff a vu l’arrivée d’Anaïs Bounouar comme coach des U17 et de Laurent Koscielny comme adjoint des U17, remplaçant Rudy Ebondo qui est parti pour Monaco. Comment faire pour maintenir une culture de club stable, une pédagogie uniforme, et assurer la continuité des idées ?

Nous ne cherchons pas une forme d’immobilisme ou de conservatisme, mais nous sommes vigilants à ce que les personnes soient compatibles, partagent la même vision et les mêmes valeurs. Certaines choses se vérifient dans la pratique, sur le terrain et au quotidien. Globalement, il n’y a ni bons ni mauvais ; nous partageons une intention, et chacun contribue ensuite à l’effort collectif. Quand j’ai l’opportunité d’accueillir Laurent Koscielny, il peut nous apporter quelque chose d’unique qu’aucun autre collaborateur n’a, du fait de son parcours.

Le rôle de directeur de centre de formation est compliqué , il faut notamment annoncer aux joueurs de la catégorie U19 s’ils seront retenus. Ces jeunes ont consacré beaucoup à leur passion, souvent avec sacrifices. Comment te prépares-tu et comment prépares-tu le groupe à recevoir cette nouvelle ?

C’est presque naturel car, depuis leur arrivée et même dès leur recrutement, notre discours se veut le plus réaliste possible. Bien sûr, pour les convaincre, nous présentons les aspects positifs du projet, mais nous insistons également sur les obstacles potentiels : blessures, concurrence, éloignement… S’il y a trop d’écart entre ce que l’on présente et ce que le joueur vit, il est déçu, tout comme son entourage. Donc, nous sommes déjà réalistes dans notre recrutement. On leur dit : « Ça va être difficile, il y a peu de gens qui réussissent », pour être en phase dès le départ.

Ensuite, tout au long de leur parcours, nous faisons des revues de performances. Le joueur fait un cycle de matchs et analyse ses performances. Au début, cela peut être vu de façon très externe : « J’ai été titulaire, j’ai joué tant de minutes, j’ai marqué tant de buts, on a gagné ». C’est assez objectif, mais ça ne raconte pas tout de la performance qualitativement parlant. On ne sait pas si l’adversaire était bon, s’il y avait des joueurs absents, ou si j’étais associé à tel ou tel joueur. On ne sait pas non plus si j’ai entrepris des transformations pour devenir un meilleur joueur, transformations qui n’ont pas encore pu s’exprimer en termes de performance, mais qui montrent qu’on peut être patient avec moi. Donc, ces indicateurs, on les construit progressivement avec chaque jeune, et on se retrouve tous les trois ou quatre mois pour en parler formellement.

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Ainsi, un joueur en troisième année peut m’expliquer qu’il est déçu et surpris que ça ne continue pas. Mais il y a une dynamique qui lui permet de comprendre que notre discours n’est pas un jugement de valeur. Chaque coach analyse les matchs, ce qui leur prend une dizaine d’heures chaque semaine pour avoir une vue d’ensemble sur chaque joueur. Certes, il y a de la subjectivité ; nous sommes humains, mais on dépasse le simple « j’aime / je n’aime pas ».

Les actions des joueurs sont donc codées à l’aide de + et de -. Par exemple, un joueur fait une passe qui arrive à destination ; le coach pourrait lui attribuer un « plus » ou un « moins », selon qu’il y avait peut-être un meilleur choix, ou selon le contexte du match ou ce que le joueur travaille en ce moment, l’action pourra être diversement analysée. À l’inverse, si le joueur réalise une passe de déséquilibre interceptée par l’adversaire, mais travaille sur cet objectif, le coach peut considérer cela comme un « plus », alors qu’un observateur aurait vu le ballon perdu et aurait peut-être attribué un « moins ». Mais si, sur la durée, la même action est toujours interceptée après 4-5 matchs, cela redeviendra un « moins ».

Finalement, à la fin, je fais simplement le « solde ». Je dis : « Écoute, ça fait trois ans, on en est là, ça progresse, ça ne progresse pas, on voit des perspectives, on n’en voit pas », et donc « on a décidé d’arrêter, on a décidé de continuer ». Avec le staff, j’essaie d’être le plus juste possible dans nos choix.

Je veux aussi que les joueurs comprennent qu’il n’y a pas de quotas. Régis ne m’a jamais dit qu’il n’y a que quatre joueurs qui peuvent monter en réserve après les U18. Si j’en ai 10 une année, nous serons très contents, mais cela ne signifie pas forcément qu’ils deviendront tous professionnels. Mais ce seront des joueurs à qui nous aurons donné du temps. Avec ces joueurs-là, on ne repart pas de zéro quand ils arrivent en réserve. Si on recrute, ils auront peut-être d’autres qualités, mais ils n’auront pas la culture de la performance, ni les éléments du jeu de position… Et donc, c’est aussi un temps d’adaptation qui peut ralentir la production de performance.

De nombreux témoignages mettent en avant que beaucoup de joueurs se sentent abandonnés après avoir quitté une structure professionnelle. Quel suivi proposez-vous pour les joueurs non conservés, afin de les aider dans leur poursuite de carrière ou leur reconversion ?

Nous pratiquons le football, un sport où le joueur est jugé sur ses performances, une dure réalité du haut niveau. Cependant, ce sont des êtres humains avec des expériences sur et en dehors du terrain, une histoire et une trajectoire personnelles, souvent négligées par la majorité des entraîneurs et des clubs sous prétexte que c’est un sport collectif. En tant que structure responsable, nous devons accompagner le joueur pendant et après son parcours. Les éducateurs soutiennent ainsi les recherches de clubs pour les garçons non conservés. Jérôme Drouard, notre accompagnateur mental, reçoit aussi les jeunes qui en font la demande. C’est un travail de l’ombre mais indispensable. Si le joueur est responsable de sa performance, l’homme mérite notre respect et notre soutien.

Nous cherchons à enrichir le joueur, que ce soit à l’école ou au centre avec nos éducateurs, pour qu’il devienne chaque jour un meilleur joueur. Dans notre modèle de recrutement, nous cherchons d’abord quelqu’un qui aspire à s’améliorer en tant qu’homme. Il faut une certaine agilité et disponibilité du staff pour répondre à ces problématiques. Un centre de formation est bien plus qu’un lieu de soumission.

Pour illustrer cela, imaginez deux personnes marchant côte à côte. Je peux pousser le joueur et tant que j’exerce une pression, il avance. Autre option, je lui attache une corde et je le tire. Tant que j’ai de la force, il me suit, peut-être moins vite mais dans la direction que j’ai choisie. La troisième option est que je marche à ses côtés et que nous nous arrêtions régulièrement pour discuter de notre direction et avancer ensemble. Cela peut être plus lent, avec des détours, mais ce sera joyeux et probablement dans de meilleures conditions. Le joueur ne lutte pas puisque j’ai volontairement choisi cette direction avec lui. Le jeune peut subir de nombreuses influences différentes : la famille, l’argent, les amis… Cela peut mener à des blessures ou des contre-performances si on ne le responsabilise pas pour qu’il fasse ses propres choix.

Enfin, une idée souvent répandue dans les centres de formation concerne la concurrence entre les joueurs au sein du club. Même si tous ne peuvent pas évoluer en même temps en équipe professionnelle, je suis convaincu que l’on peut coopérer entre « concurrents » pour que chacun réussisse. Cela permet à chacun de nourrir l’autre pour devenir la meilleure version de soi-même. L’exemple de Ronaldo et Messi illustre ce point : je pense que le succès de l’un est stimulé par l’existence de l’autre. Chaque fois que l’un se relâche, l’autre prend l’avantage, ce qui motive le joueur compétitif qui veut être le meilleur et se sentir challengé.

Régis Le Bris cite le terme « culture de l’alibi », comment pourrais-tu nous le définir et quelle place a-t-il au quotidien ?

Nous identifions trois concepts clés : la culture de l’alibi, où la faute est rejetée sur autrui ; la culture de la participation, où l’on agit sans conviction, simplement parce qu’on nous l’a demandé ; et enfin, la culture de la performance, où l’on poursuit activement des objectifs clairs.

Photo par Lilian Toulon et

Nous discutons et partageons ce triptyque avec les joueurs pour encourager un accompagnement qui va au-delà de l’accord, favorisant des contradictions, des échanges et des confrontations qui stimulent la prise de conscience et la transformation personnelle.

Des éducateurs expérimentés comme Arnaud Le Lan ou Benjamin Genton peuvent, en raison de leur expérience, inconsciemment influencer les joueurs, les amenant à suivre des directives sans les remettre en question. Une vigilance constante est nécessaire pour comprendre et guider les joueurs efficacement.

Les joueurs doivent également naviguer entre les influences familiales et sociales, souvent pleines d’excuses comme « il est jeune, il ne sait pas ». Nous encourageons les joueurs à développer des solutions personnelles et pertinentes, qu’ils doivent pleinement assumer, promouvant ainsi une culture de la performance plutôt que celle de l’alibi.

Parfois, l’alibi peut venir des entraîneurs eux-mêmes, qui déclarent qu’un joueur « n’a pas de talent ». Nous rejetons cette affirmation car chaque individu possède des ressources et du potentiel, même si certains choisissent de les appliquer ailleurs. Le talent est défini comme la capacité à résoudre des problèmes et à donner un sens à ses actions, en compétition. Il émerge de la combinaison d’une volonté appliquée quotidiennement dans un environnement compétitif, enrichi par l’éducation et les expériences passées.

Il y a quelques années, le dispositif de l’équipe avenir avait remplacé l’équipe U19 National pour exposer directement les jeunes joueurs au monde sénior à travers des matchs amicaux et des tournois le week-end, au lieu des compétitions habituelles. Ce dispositif a été retiré par la suite. Comment préparez-vous maintenant les joueurs du centre de formation pour le passage au monde sénior ?

La compétition est un bon indicateur, mais un mauvais maître. Nos jeunes interprètent souvent le résultat du match et le classement de l’équipe comme une prédiction de leur parcours futur et un bon indicateur de leur performance, un sujet que nous avons déjà abordé.

Au FC Lorient, nous créons des contextes favorables au développement des joueurs. Par exemple, si un joueur performe régulièrement à un certain niveau, devons-nous le maintenir dans cette équipe pour qu’il continue de progresser ? Ou bien devrions-nous changer son poste ou son équipe ? Ainsi, en proposant des expériences variées et enrichissantes, nous aidons le joueur à s’autoévaluer et à progresser.

Photo par Lilian Touminet

Le football chez les jeunes n’est pas comparable à celui des adultes. Chez les U19, il y a toujours des joueurs techniquement peu fiables qui perdent facilement le ballon sous pression. En revanche, en Nationale 2, une pression mal exécutée permet à l’adversaire de réussir plusieurs passes consécutives, épuisant l’attaquant sans récupération du ballon. Il est donc crucial de créer occasionnellement des espaces artificiels pour le développement de ces joueurs. Les intégrer dans un collectif plus stable et mature les protège ; introduire trop de jeunes pourrait déséquilibrer les forces et donner l’impression que le niveau requis est inaccessible.

Ainsi, nous avons réintégré le championnat U19, mais nous organisons régulièrement des rencontres avec des équipes seniors. Cela permet à nos jeunes de se confronter progressivement aux réalités du football senior.

Comment réussis-tu à intégrer un joueur avec une forte individualité, que ce soit dans sa personnalité ou son style de jeu, au sein d’un projet collectif ? Et comment le motives-tu à travailler pour le groupe plutôt que pour ses intérêts personnels ?

Premièrement, il existe un modèle social influent. Certains jeunes ont grandi dans un environnement où le football jouait un rôle prépondérant, influençant leur perception du collectif. Une illusion courante dans notre sport réside dans les statistiques individuelles. Aucun joueur ne gagne seul, pourtant le recrutement se concentre souvent sur des individus, ce qui peut engendrer des comportements égoïstes.

Un exemple classique est celui du joueur qui attaque mais ne défend pas, une pratique inacceptable au plus haut niveau. Dans les meilleures équipes, chacun attaque et défend. Au FC Lorient, nous valorisons un jeu collectif, visible quotidiennement à l’entraînement et en compétition. Cependant, il existe un risque de perdre ses « super pouvoirs » ou sa singularité au sein du collectif. Si je suis très fort en duel, le collectif peut utiliser cette force comme stratégie, avec les coéquipiers créant des espaces pour exploiter cette compétence.

L’un des moments les plus émouvants pour moi, en stade, est de prévoir les actions de l’adversaire deux ou trois passes à l’avance, en observant les espaces et les mouvements des joueurs. Voir cela se concrétiser par un but est une source de grande joie.

Nous recherchons des joueurs avec une forte personnalité, essentielle au haut niveau pour surmonter les défis de leur carrière. J’ai besoin de joueurs qui expriment librement leurs pensées, bien que cela puisse être compliqué au quotidien. Ces joueurs doivent assumer pleinement leurs responsabilités, que ce soit pour tirer au but, engager un duel ou défendre efficacement. L’important est leur capacité à coopérer, que ce soit en défense, en attaque, lors des transitions ou sur les coups de pied arrêtés.

Il ne faut cependant pas confondre forte personnalité et narcissisme, souvent le produit d’un environnement ou d’une histoire personnelle. Cela fait partie des discussions lors du recrutement. Nous examinons attentivement le passé du joueur et son entourage, car il est difficile de travailler avec quelqu’un qui est constamment louangé par son entourage. Parfois, il est préférable de ne pas collaborer avec ce type de joueur.

Tu as sûrement remarqué une évolution dans la manière dont les joueurs appréhendent le football. Les jeunes semblent regarder moins de matchs, ou alors de manière superficielle. Comment parviens-tu à stimuler et à transmettre cette passion du football qu’ils éprouvent en jouant, mais peut-être moins en regardant des matchs ? Penses-tu que suivre activement le football soit essentiel à leur développement tactique ?

J’ai du mal à imaginer qu’on puisse devenir la meilleure version de soi-même si l’on a peu d’intérêt pour ce qu’on fait. L’expérience me montre que ceux qui réussissent aiment majoritairement le jeu. Cependant, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de regarder du football 24h sur 24. Je comprends que pour quelqu’un qui passe toute la journée dans un club de foot, regarder une série ou un film avec sa famille ou ses amis puisse être exactement ce dont il a besoin à ce moment-là. En discutant avec les jeunes du centre, je constate qu’ils ont tous des sources d’inspiration variées; ils regardent des vidéos, qu’il s’agisse de clips ou de matchs entiers. Chaque individu est sensible à certaines choses et il faut accepter cela. Peut-être qu’à mon époque, nous ne regardions pas de vidéos et c’était peut-être notre limite comparée à ceux qui aujourd’hui en regardent beaucoup, même sous d’autres formes.

Un grand Merci à Frédéric Bodineau pour le temps consacré à cet échange. Un remerciement également à Paul-Marie Gouzerh pour l’opportunité donnée.

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